Imhotep, des vacances au Maroc


    Imhotep, que certains n’hésitent pas à qualifier d’architecte sonore du groupe IAM, cultive depuis longtemps son jardin secret. Pour son plaisir (et le nôtre !), il vient d’enregistrer un album solo instrumental, “Blue Print”, où il donne libre cours à ses amours musicales : le reggae/dub et la musique arabo-andalouse. Le tout réalisé sur un studio mobile au Maroc... Franck Ernould

    Relisez l’interview du groupe IAM parue dans Home Studio lors de la sortie de l’album “L’école du Micro d’Argent” (Home Studio n°8) : Imhotep y parle déjà d’un éventuel projet en solitaire. Coïncidence : Shurik’N vient de sortir son album solo, Kheops termine le sien, bref chaque membre d’IAM (ou presque) s’est livré à ce périlleux exercice ! Chez Delabel, l’actualité, en ce début d’été, est décidément très chargée...


Jardin secret

    “Quand je fais de la recherche d’échantillons chez moi, je pars vraiment dans tous les sens”, avoue Imhotep. “Certains samples trouvent naturellement leur place dans IAM, d’autres dans des productions rap ou hip-hop sur lesquelles j’interviens, mais d’autres restent en réserve, à l’écart, dans mon “jardin secret”. Je me disais depuis un bon moment qu’un jour ou l’autre, j’aimerais bien faire un disque instrumental où je ne fixerais pas de cadre, pas de limite stylistique, et où je pourrais vraiment m’exprimer sans avoir d’arrière-pensée. Bref, fixer moins de critères restrictifs à ma création”. Voici quelques mois, Imhotep commence donc à “maquetter” son projet solo : faire tourner des échantillons, des lignes de basse, construire des rythmes, essayer des combinaisons de samples entre eux... Ceux-ci forment l’essence même de chaque titre, et proviennent généralement de vinyles de sa collection (les experts reconnaîtront, dans les intros, un bout de Tangerine Dream, un autre de Jacques Loussier...), parfois de CD - il va même jusqu’à rejouer certaines parties de basse ou de cordes. En travaillant plus en profondeur, quelques morceaux ne tardent pas à se préciser, et leur couleur est fort éloignée du style IAM. Il les fait écouter chez Delabel, et devant l’accueil favorable réservé à son projet, entasse dans le coffre de son break les caisses de son studio mobile (voir encadré), et part... au Maroc !


Marseille-Essaouira

    “Pour mixer cet album, j’ai ressenti le besoin de m’extraire de mon contexte marseillais habituel. Non pas que je n’y sois pas bien, mais plutôt le fait que quand je suis là-bas, il y a trop de choses qui me rappellent au quotidien, les affaires en cours à régler... Pour cet album, j’avais vraiment besoin de prendre du recul, de la distance. Le Maroc est un lieu qu’on ne connaît pas vraiment, très ouvert, sur l’Océan, avec un climat exceptionnel, des mœurs et une culture différente : cela permet, lorsqu’on sort du studio pour décompresser, pour se changer les idées, en une demie-heure ou en une heure, de se laver le cerveau et les oreilles, d’aller manger un poisson sur le port d’Essaouira, d’aller piquer une tête dans l’Océan... toutes choses que je ne peux pas faire à Marseille, compte tenu de la saison (nous étions en février-mars), aussi rapidement et aussi facilement”.
    Pour Imhotep, c’est aussi joindre l’utile à l’agréable, puisque sa famille le suit ou lui rend visite là-bas. Dernière (bonne) raison enfin : tout ce qui est hébergement et alimentation est à prix dérisoire au Maroc, nous avons pu faire certaines économies tout en vivant très bien et en étant logé dans de très bonnes conditions d’espace et de confort.


Le micro du Camescope

    Après un voyage épique, Imhotep, accompagné de Mourad Terreri, ingénieur du son et clavier/multi-instrumentiste spécialisé dans la musique orientale, s’installe dans une vaste maison d’Essaouira. La grande salle de séjour (plus de 60 m2) résonne un peu trop ? Il suffit de rassembler fauteuils et canapés dans le fond, de poser des tapis par terre, de tirer des rideaux, et voilà !
    Même si la plupart des titres sont assez avancés, le processus créatif n’était pas fini : d’autres combinaisons de samples apparaissent à Imhotep, certains morceaux se transforment, d’autres fusionnent... Encore de longues journées de travail en perspective ! Un ami d’Imhotep, Marco, se voit chargé de la délicate mission de prendre des photos et de filmer au camescope les promenades, les déplacements dans Essaouira. “On s’est vite retrouvés avec environ 25 heures de rushes image”, raconte Imhotep : “En regardant quelques cassettes, je me suis aperçu que le micro intégré du camescope avait capté, sans le vouloir, des atmosphères vraiment intéressantes, pas forcément musicales d’ailleurs, et je me suis dit qu’elles pourraient fort bien servie en même temps de cadre et de filigrane à mon projet : que l’aspect “musical” et l’aspect “mixé à Essaouira” pourraient fort bien se superposer et se combiner...
    Voilà donc Imhotep recopiant sur DAT les passages les plus intéressants, s’enservant comme intermèdes entre deux titres ou les intégrant même parfois dans les morceaux eux-mêmes, faisant alors jouer des musiciens confirmés. Il réalise alors un mélange inédit et passionnant : le reggae/dub et la musique arabe, avec ses quarts de ton et ses timbres fascinants. !


Roots

    Rien de surprenant pour ce Méditerranéen, connaisseur ès raï et musique égyptienne, dont la carrière musicale a commencé à l’aube des années 80 dans des groupes de reggae “roots”. Il est alors aux premières loges pour suivre l’évolution rapide de ce style musical vers ce qu’on a appelé le “digital ragga”, bourré de synthés et de rythmes électroniques. “J’y ai un peu goûté, j’avais même acheté un D-20 et une boîte à rythmes, mais le virus du sampling m’a piqué peu après, et je suis parti dans une voie différente, sans perdre mon amour pour le reggae-dub “authentique”, celui des années 70”.
    Voilà pourquoi “Blue Print” retrouve cette couleur musicale si particulière, et ces grooves inimitables qu’Imhotep restitue pourtant, le cas échéant, à la perfection : “Lorsque je rejoue une partie au clavier avec un son de cordes ou de basse, je n’aime pas séquencer en MIDI : je préfère la joue live par-dessus la musique, plusieurs fois à la suite parce que je ne suis pas un bon instrumentiste. Je copie ensuite le tout sur DAT, avec égalisation éventuelle, et je re-sample le résultat. Je ne séquence que les rythmes en MIDI, pour la régularité. J’aime quand ce n’est pas parfait au niveau métrique, et un séquenceur MIDI est un peu trop “exact” à mon goût”. Notons que notre homme ne travaille que sur le séquenceur de la MPC3000...


Un plaisir partagé

    Le mixage s’effectue également sur le studio mobile, en n’utilisant que les effets internes de la 02R. Imhotep soigne particulièrement la spatialisation via l’Autopan, n’hésite pas à mettre du phasing sur certaines ambiances par exemple. Avoir apporté ses propres enceintes l’aide à ne pas se sentir trop dépaysé, et il effectue sans problème particulier tous les mixages sur DAT. Il intercale des passages enregistrés sur le marché, des discussions entre passants, des cris d’oiseaux, des bruits de vélomoteurs, la pluie d’orage qui tombe... et ces éléments transfigurent le disque final, qui devient un voyage sonore ininterrompu de plus d’une heure, se terminant comme il avait commencé ! L’impression “acoustique” domine : on serait bien en mal de citer ne serait-ce qu’un effet électronique dans tout le disque !
    “Revenu ici, je me suis donné une période de réflexion d’une semaine, à l’issue de laquelle je n’ai retouché aucun mixage. J’ai en revanche rajouté un morceau, “Still a war...”, terminé deux-trois jours avant le mastering”. Mastering effectué pour le CD chez Translab, avec Alexis, et à New York pour la version vinyle de “Blue Print”. Sorti le 12 juin, l’album posera sans doute des problèmes de classification aux disquaires : reggae, hip-hop, traditionnel ? Inclassable, en fait. “Ce disque instrumental peut être écouté partout dans le monde, de Londres à Tokyo, son marché est en fait très ouvert”, constate Imhotep. “Il touchera sans aucun doute des gens que l’étiquette “hip hop” ou “rap” rebuterait. Les titres sont généralement assez courts, afin d’éviter toute lassitude si une boucle s’installe pendant plus de trois minutes”.
    “La première motivation de cet album solo était de me faire plaisir : j’ai bien aimé la façon dont cet album s’est fait, le résultat me plaît - je suis très content ! Depuis mon retour, je n’ai retravaillé que sur du hip-hop. Je me suis tellement soulagé que je pense pouvoir rester deux ans sans refaire d’album délirant, à reprendre mes occupations habituelles. J’aurais aimé emmener de “vieilles réverbes”, mais c’était impossible. Je referai certainement un jour un disque instrumental dans un studio vintage, avec que des effets d’époque, EMT à plaques par exemple”. Imhotep nous a confié que le prochain album d’IAM était déjà bien entamé : pas d’inquiétude donc, les Marseillais se sont retrouvés après leurs escapades en solo respectives, pour notre plus grand plaisir.


FICHE TECHNIQUE

Console : Yamaha 02R
Multipistes : Alesis ADAT x 2
Périphériques : compresseurs/égaliseurs TL Audio, préampli micro M5 Avalon
Écoutes : Genelec 1030, Alesis Monitor One
Séquenceur : Akai MPC 3000
Claviers : E-mu EK-IV, SP1200
+ un onduleur (très important !)


Cet article est paru dans HOME STUDIO





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