Jardin secret
Quand je fais de la recherche déchantillons chez moi, je
pars vraiment dans tous les sens, avoue Imhotep. Certains samples trouvent
naturellement leur place dans IAM, dautres dans des productions rap ou hip-hop sur
lesquelles jinterviens, mais dautres restent en réserve, à lécart,
dans mon jardin secret. Je me disais depuis un bon moment quun jour ou
lautre, jaimerais bien faire un disque instrumental où je ne fixerais pas de
cadre, pas de limite stylistique, et où je pourrais vraiment mexprimer sans avoir
darrière-pensée. Bref, fixer moins de critères restrictifs à ma création.
Voici quelques mois, Imhotep commence donc à maquetter son projet solo :
faire tourner des échantillons, des lignes de basse, construire des rythmes, essayer des
combinaisons de samples entre eux... Ceux-ci forment lessence même de chaque titre,
et proviennent généralement de vinyles de sa collection (les experts reconnaîtront,
dans les intros, un bout de Tangerine Dream, un autre de Jacques Loussier...), parfois de
CD - il va même jusquà rejouer certaines parties de basse ou de cordes. En
travaillant plus en profondeur, quelques morceaux ne tardent pas à se préciser, et leur
couleur est fort éloignée du style IAM. Il les fait écouter chez Delabel, et devant
laccueil favorable réservé à son projet, entasse dans le coffre de son break les
caisses de son studio mobile (voir encadré), et part... au Maroc !
Marseille-Essaouira
Pour mixer cet album, jai ressenti le besoin de
mextraire de mon contexte marseillais habituel. Non pas que je ny sois pas
bien, mais plutôt le fait que quand je suis là-bas, il y a trop de choses qui me
rappellent au quotidien, les affaires en cours à régler... Pour cet album, javais
vraiment besoin de prendre du recul, de la distance. Le Maroc est un lieu quon ne
connaît pas vraiment, très ouvert, sur lOcéan, avec un climat exceptionnel, des
murs et une culture différente : cela permet, lorsquon sort du studio pour
décompresser, pour se changer les idées, en une demie-heure ou en une heure, de se laver
le cerveau et les oreilles, daller manger un poisson sur le port dEssaouira,
daller piquer une tête dans lOcéan... toutes choses que je ne peux pas faire
à Marseille, compte tenu de la saison (nous étions en février-mars), aussi rapidement
et aussi facilement.
Pour Imhotep, cest aussi joindre lutile à
lagréable, puisque sa famille le suit ou lui rend visite là-bas. Dernière (bonne)
raison enfin : tout ce qui est hébergement et alimentation est à prix dérisoire au
Maroc, nous avons pu faire certaines économies tout en vivant très bien et en étant
logé dans de très bonnes conditions despace et de confort.
Le micro du Camescope
Après un voyage épique, Imhotep, accompagné de Mourad Terreri,
ingénieur du son et clavier/multi-instrumentiste spécialisé dans la musique orientale,
sinstalle dans une vaste maison dEssaouira. La grande salle de séjour (plus
de 60 m2) résonne un peu trop ? Il suffit de rassembler fauteuils et canapés dans le
fond, de poser des tapis par terre, de tirer des rideaux, et voilà !
Même si la plupart des titres sont assez avancés, le processus
créatif nétait pas fini : dautres combinaisons de samples apparaissent à
Imhotep, certains morceaux se transforment, dautres fusionnent... Encore de longues
journées de travail en perspective ! Un ami dImhotep, Marco, se voit chargé de la
délicate mission de prendre des photos et de filmer au camescope les promenades, les
déplacements dans Essaouira. On sest vite retrouvés avec environ 25 heures
de rushes image, raconte Imhotep : En regardant quelques cassettes, je me suis
aperçu que le micro intégré du camescope avait capté, sans le vouloir, des
atmosphères vraiment intéressantes, pas forcément musicales dailleurs, et je me
suis dit quelles pourraient fort bien servie en même temps de cadre et de filigrane
à mon projet : que laspect musical et laspect mixé à
Essaouira pourraient fort bien se superposer et se combiner...
Voilà donc Imhotep recopiant sur DAT les passages les plus
intéressants, senservant comme intermèdes entre deux titres ou les intégrant
même parfois dans les morceaux eux-mêmes, faisant alors jouer des musiciens confirmés.
Il réalise alors un mélange inédit et passionnant : le reggae/dub et la musique arabe,
avec ses quarts de ton et ses timbres fascinants. !
Roots
Rien de surprenant pour ce Méditerranéen, connaisseur ès raï et
musique égyptienne, dont la carrière musicale a commencé à laube des années 80
dans des groupes de reggae roots. Il est alors aux premières loges pour
suivre lévolution rapide de ce style musical vers ce quon a appelé le
digital ragga, bourré de synthés et de rythmes électroniques.
Jy ai un peu goûté, javais même acheté un D-20 et une boîte à
rythmes, mais le virus du sampling ma piqué peu après, et je suis parti dans une
voie différente, sans perdre mon amour pour le reggae-dub authentique, celui
des années 70.
Voilà pourquoi Blue Print retrouve cette couleur musicale
si particulière, et ces grooves inimitables quImhotep restitue pourtant, le cas
échéant, à la perfection : Lorsque je rejoue une partie au clavier avec un son de
cordes ou de basse, je naime pas séquencer en MIDI : je préfère la joue live
par-dessus la musique, plusieurs fois à la suite parce que je ne suis pas un bon
instrumentiste. Je copie ensuite le tout sur DAT, avec égalisation éventuelle, et je
re-sample le résultat. Je ne séquence que les rythmes en MIDI, pour la régularité.
Jaime quand ce nest pas parfait au niveau métrique, et un séquenceur MIDI
est un peu trop exact à mon goût. Notons que notre homme ne travaille
que sur le séquenceur de la MPC3000...
Un plaisir partagé
Le mixage seffectue également sur le studio mobile, en
nutilisant que les effets internes de la 02R. Imhotep soigne particulièrement la
spatialisation via lAutopan, nhésite pas à mettre du phasing sur certaines
ambiances par exemple. Avoir apporté ses propres enceintes laide à ne pas se
sentir trop dépaysé, et il effectue sans problème particulier tous les mixages sur DAT.
Il intercale des passages enregistrés sur le marché, des discussions entre passants, des
cris doiseaux, des bruits de vélomoteurs, la pluie dorage qui tombe... et ces
éléments transfigurent le disque final, qui devient un voyage sonore ininterrompu de
plus dune heure, se terminant comme il avait commencé ! Limpression
acoustique domine : on serait bien en mal de citer ne serait-ce quun
effet électronique dans tout le disque !
Revenu ici, je me suis donné une période de réflexion
dune semaine, à lissue de laquelle je nai retouché aucun mixage.
Jai en revanche rajouté un morceau, Still a war..., terminé deux-trois
jours avant le mastering. Mastering effectué pour le CD chez Translab, avec Alexis,
et à New York pour la version vinyle de Blue Print. Sorti le 12 juin,
lalbum posera sans doute des problèmes de classification aux disquaires : reggae,
hip-hop, traditionnel ? Inclassable, en fait. Ce disque instrumental peut être
écouté partout dans le monde, de Londres à Tokyo, son marché est en fait très
ouvert, constate Imhotep. Il touchera sans aucun doute des gens que
létiquette hip hop ou rap rebuterait. Les titres sont
généralement assez courts, afin déviter toute lassitude si une boucle
sinstalle pendant plus de trois minutes.
La première motivation de cet album solo était de me faire
plaisir : jai bien aimé la façon dont cet album sest fait, le résultat me
plaît - je suis très content ! Depuis mon retour, je nai retravaillé que sur du
hip-hop. Je me suis tellement soulagé que je pense pouvoir rester deux ans sans refaire
dalbum délirant, à reprendre mes occupations habituelles. Jaurais aimé
emmener de vieilles réverbes, mais cétait impossible. Je referai
certainement un jour un disque instrumental dans un studio vintage, avec que des effets
dépoque, EMT à plaques par exemple. Imhotep nous a confié que le prochain
album dIAM était déjà bien entamé : pas dinquiétude donc, les Marseillais
se sont retrouvés après leurs escapades en solo respectives, pour notre plus grand
plaisir.
FICHE TECHNIQUE
Console : Yamaha 02R
Multipistes : Alesis ADAT x 2
Périphériques : compresseurs/égaliseurs TL Audio, préampli micro M5 Avalon
Écoutes : Genelec 1030, Alesis Monitor One
Séquenceur : Akai MPC 3000
Claviers : E-mu EK-IV, SP1200
+ un onduleur (très important !)
Cet article est paru dans HOME STUDIO