INTERVIEW D'AKHENATON AU SUJET D'ELECTRO CYPHER

 

Où sommes-nous exactement ?

Ici ce sont les locaux de la Cosca, qui est une maison d’édition créée en 1995 autour de mes éditions. Plutôt que d’encaisser l’argent et de ne rien faire avec, j’ai préféré réinvestir dans un lieu où on peut faire de la musique et dans d’autres groupes qui débutaient. L’idée c’était de créer une dynamique. Maintenant il y a aussi une maison de production et tout le bas est occupé par des studios de répète’, de programmation et d’enregistrement.

 

C’est important de se mettre à l’écart pour bosser ?

C'est un endroit tranquille. Le fait de nous éloigner de nos quartiers respectifs permet que les studios restent un bel endroit musical. C'est vrai que sinon, y'en a toujours qui traînent, qui viennent jouer à la Playstation, ou qui roulent sur la table où tu mixes. C'est rigolo, mais ça va un moment.

 

Comment s'est constitué le collectif ?

On travaille toujours ensemble, à l'année, sur des projets divers, et sur nos albums respectifs. Il peut arriver que Rachid vienne scratcher sur un de mes titres ou qu'un autre me fasse une instru. On est réuni comme un pool de producteurs, et c'est presque une première en France qu'une dizaine de producteurs se rassemblent et unissent leurs forces. Habituellement on se répartit les projets assez démocratiquement.

 

Et là ça s'est passé comment ?

On a décidé, il y a deux ans de faire cet album, mais ça a pris du temps parce que je travaillais sur "Comme un aimant". Cette idée est très liée au film et au titre "Belsunce Breakdown" de Bouga. J'ai proposé ce projet électro et ceux que ça branchait ont bossé dessus. Certains n'on fait qu'un morceau, d'autres plus ; on a fonctionné de manière assez simple.

 

Que symbolise le nom Electrocypher ?

Ca vient de l'arabe, et en anglais, par extension, ça devient cylindre. Et ça symbolise le cylindre avec lequel les cavaliers portaient les messages de ville en ville. C'est comme si l'électro se perpétuait maintenant à travers le cypher, le cylindre, comme un passage de relais. C'est un peu une nouvelle génération, parce que l'électro que nous écoutons, pas celle qui est reprise par la techno en ce moment, s'est arrêté après 1985, et même avant. À partir de là, l'électro a évolué, s'est ralentie, et s'est rapprochée du rap actuel.

 

Qu'est-ce que ça change concrètement ?

Quand on travaille pour des groupes de rap, on a des tas d'obligations, pour la voix. Je ne vais rien vous apprendre sur le rap ; c'est une musique qui avance à une vitesse énorme. Et un morceau qui est à la page, six mois plus tard c'est complètement out, donc voilà les obligations. La bouffée d'oxygène, c'est aussi quand j'ai fait "Comme un aimant", c'était de la soul, c'était complètement différent. C'est ça une bouffée d'oxygène. Ca joue notamment au niveau de la place que prennent les instrus ; disons que dans un morceau de rap, ce serait un peu plus dépouillé. Faut penser qu'il va y avoir un rappeur dessus donc faut pas trop charger. Là on a carte blanche et 100% d'espace à remplir. Faut pas que ça devienne monotone. On peut aussi varier beaucoup plus les séquences que dans un morceau de rap.

 

Y a-t-il une part de nostalgie dans ce projet ?

Y'a toujours de la nostalgie quand on réaborde une musique pour laquelle il n'y a pas de marché ; il n'y a pas de scène électro. La pseudo scène électro actuelle, pour moi, c'est de la branlette anglaise, ça n'a rien à voir avec l'électro de l'époque. C'est de la musique électronique, alors que nous parlons de funk électronique. On a connu de 1977 à 1982 une période très acoustique dans le rap, avec par exemple la reprise "Good times" : c'était très formation batterie, basse, etc. Et à partir de 1982 sont arrivées les premières maquettes hip hop faites uniquement avec des synthés et des boîtes à rythme. En fait c'est une révolution technologique qui a fait cette musique, et qui a fait passer les groupes de rap au tout électronique. Et quand on dit électro, on pense électrofunk. Et quand les Anglais sortaient les compilations "Street Sounds", ils avaient déjà enlevé le mot funk. J'aimerais bien les retrouver toutes ces compilations, y'en a au moins 22.

 

Quel âge avais-tu à ce moment-là ?

À l'époque de 1977 à 1986, quasiment avec l'apparition de public Ennemy, le rap était une musique de club. Moi j'allais déjà à New York en 1984, j'étais déjà allé au Roxy et tout, j'avais 16 ans. J'étais un petit débrouillard et donc j'ai connu la grande époque. J'ai vécu pendant deux ans et demi en faisant des allers-retours avec la France. J'étais super autonome, maintenant je suis pantouflard, c'est bizarre. J'ai connu quasiment tous les premiers groupes de rap de l'époque. Ca reste pour moi révolutionnaire.

 

Vu la dimension du projet, vous ne vous adressez pas forcément à un public acquis ?

Je ne mise pas trop sur les jeunes, parce qu'il faut faire un effort culturel au niveau de l'écoute, et qu'ils ne sont pas forcément prêts à faire. Le rap est devenu tellement énorme, que certains reproduisent les mêmes schémas que dans la culture générale. On prend ce qui vient et si on ne comprend pas, on ne cherche pas à en savoir plus. Le projet a été fini avant d'être signé. Si on ne l'avait pas sorti chez Labels, on l'aurait sorti en indépendant. J'espère déjà que les troupes de danses seront contentes que des musiciens pensent à elles. Maintenant qu'on l'a fait, on le défend à mort pour qu'il soit connu du grand maximum. De toute façon, ce n'est pas une musique facile.

 

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